PLAIDOYER
Ce plaidoyer se fonde sur une position fondamentale : la société québécoise telle que nous la connaissons mérite de durer en tant que bien commun. Nous parlons donc d’un acquis qui existe dans l’espace et le temps. Il ne s’agit nullement d’une utopie que nous souhaiterions inventer ou construire, mais d’une civilisation qui existe, la nôtre. Nous jouissons de bonnes institutions et d’une culture publique commune trop souvent méprisées par nos élites, mais grâce auxquelles nous avons survécu et progressé jusqu’à aujourd’hui.
Quelle est cette culture qui nous a soutenus et nourris ? La réponse, pour nous évidente, est qu’il s’agit de la tradition culturelle gréco-latine et judéo-chrétienne telle qu’héritée de l’Europe et modulée par quatre cents ans d’expérience en Amérique du Nord, et en particulier au Québec. Cette tradition, nous devons continuer à la vivre, à la nourrir, à la protéger et finalement à la transmettre aux nouveaux venus dans nos communautés : nos enfants et ceux qui choisissent librement de se joindre à nous, c’est-à-dire les immigrants.
« Au Québec, affirment les auteurs du Manifeste pour un Québec pluraliste, l'État élabore les normes collectives indépendamment des groupes religieux ou de conviction. Il exerce sa neutralité en s'abstenant de favoriser ou de gêner, directement ou indirectement, une religion ou une conception séculière de l'existence, dans les limites du bien commun. » En réalité, notre tradition occidentale, qui est à la fois religieuse et séculière, n’a pas été inventée par l’État : c’est au contraire cette tradition qui est le ressort principal de la notion de bien commun telle que nous la connaissons, c’est elle qui a informé l’État de la nature du bien commun, c’est elle qui a engendré les principes et les institutions à la source de nos droits et libertés, c’est elle qui inspire notre sens de la dignité et de la justice sociale, c’est aussi elle qui nous a apporté les valeurs de discipline et de travail à l’origine de notre prospérité. Tous ces biens, si précieux, nous pouvons les comparer aux fruits d’un arbre plein de vigueur. Que nous cessions un jour de préserver et de nourrir ses racines et il ne donnera plus de fruits. N’oublions pas que cet arbre est le produit d’au moins cinq mille ans d’efforts, de créativité, de souffrance, de sagesse accumulée et de courage. Au fond, nos intellectuels et nos professeurs proposent de remplacer un arbre vivant par des conceptions abstraites nées de cerveaux aussi intempérants qu’imprudents.
Lorsque nous nous interrogeons sur nos valeurs, il faut répondre fermement que ce sont celles de la tradition gréco-latine et judéo-chrétienne telles que vécues chez nous depuis quatre cents ans et, ailleurs en Occident, depuis deux mille ans. Les auteurs de ce manifeste ont d’ailleurs tort de nier qu’il existe au Québec « une majorité silencieuse qui n'aurait jamais renié ses valeurs traditionnelles, représentant notre véritable identité ». Pour au moins une génération encore, ce sera le cas. Il n’est pas nécessaire, comme écrivent en se moquant nos auteurs, de pratiquer une sorte de « symbiose mystique » pour parvenir « à déceler le contenu véritable des valeurs de cette majorité ». Ces valeurs font partie de la culture publique commune qui alimente, parfois inconsciemment, les paroles et les gestes de la majorité de nos concitoyens. Autrement, nous n’aurions pu agir collectivement pour édifier et maintenir cette société distincte, certes, mais occidentale, puisqu’il n’y a point de société sans culture publique commune.
Ces valeurs, issues de la civilisation occidentale, ont contribué à l’érection d’une société suffisamment prospère, libre et accueillante pour recevoir les immigrants et partager avec eux les bienfaits de cette culture. À ces gens venus d’ailleurs, il incombe de connaître et d’accueillir cette riche tradition, non seulement pour eux, mais pour les immigrants qui viendront dans l’avenir, afin que ceux-ci bénéficient à leur tour des mêmes bienfaits.
Respecter nos lois et nos chartes ne suffit pas pour être pleinement intégré à notre communauté nationale. Il faut en outre avoir été initié à la tradition gréco-latine et judéo-chrétienne, que ce soit au sein de sa famille, à l’église ou à l’école. Ainsi peut-on devenir un membre actif et responsable de notre société. Ainsi est-on capable de tracer des limites lorsqu’il le faut, en refusant par exemple l’euthanasie, le voile intégral ou la polygamie. Ce vaste corpus occidental, une fois intériorisé, nous permet d’exercer une pensée critique, et l’on peut dire que la possibilité même de critiquer la tradition qui nous a formés est l’un de ses bienfaits les plus inestimables.
Il est vrai, comme l’écrivent les auteurs du manifeste, que nos « droits et libertés » sont davantage qu’un « ensemble désincarné de normes », que celles-ci soient énoncées dans une charte ou dans un autre catalogue mis en circulation par l’État. Mais où s’incarnent-ils, ces droits et ces libertés, sinon dans une tradition toujours vivante, tradition qui est, pour nous en Occident, plus transcendante que les agissements d’autorités temporelles faiseuses et défaiseuses de chartes ? En effet, on le sait, nos gouvernements ne se gênent pas pour modifier les chartes selon leur bon plaisir !
Nous tenons de cette tradition notre liberté de conscience et de religion, les droits inviolables des parents quant à l’éducation de leurs enfants, l’ensemble de nos libertés municipales et scolaires, ainsi que les franchises, droits et privilèges des villages, des villes, des régions, sans parler de l’institution même de la société civile : c’est au nom de cette tradition que nous condamnons sans appel le cours obligatoire d’éthique et de culture religieuse, un cours qui viole nos droits et libertés. Non seulement ne faut-il plus enseigner ce cours à l’école primaire et le rendre facultatif au secondaire, il faut plus généralement remettre l’école à la société civile et insister pour que le niveau secondaire offre des cours d’histoire et de littérature dans lesquels le canon occidental et l’expérience québécoise qui en est un surgeon seront mis en évidence. Toutes les écoles, laïques ou confessionnelles, doivent par conséquent prodiguer un enseignement tenant compte de la tradition occidentale, toutes doivent respecter un programme éducatif minimal incluant l’histoire et les littératures américaines et européennes.
Les Québécois sont « ouverts à la diversité » et ont su appliquer un « authentique vivre-ensemble » depuis longtemps. Il est scandaleux que des fonctionnaires et des universitaires au service de l’État veuillent leur faire la leçon, eux qui n’ont pas la décence de s’identifier haut et fort à une tradition dont ils auraient dû être les plus fermes défenseurs. Les véritables gardiens des valeurs québécoises ne se trouvent ni dans les universités, ni dans les ministères du gouvernement du Québec, mais dans la société civile, où des citoyens ordinaires, des pères et mères de familles, transmettent à leurs enfants, envers et contre tous, des coutumes, des valeurs, des principes qu’aucune charte ne saurait résumer sans trahir : cette tradition vivante, inscrite dans le cœur et dans la chair autant que dans l’esprit de milliers de gens simples et bons, restera, nous le craignons, toujours inaccessible à nos spécialistes de l’ingratitude laïque et obligatoire.
Jacques Brassard, Alma
Gary Caldwell, Sainte-Edwidge
Richard Décarie, Montréal
Patrick Dionne, Montréal
Jean Renaud, Québec